Les bonheurs de la table



Est-il rien de plus agréable en ce bas monde que de s'asseoir, avec trois ou quatre vieux camarades, devant une table bien servie, dans l'antique salle --manger de ses p--res ; et l--, de s'attacher gravement la serviette au menton, de plonger la cuiller dans une bonne soupe aux queues d'écre-visses, qui embaume, et de passer les assiettes en disant : -- Go--tez-moi cela, mes amis, vous m'en donnerez des nouvelles.--

Qu'on est heureux de commencer un pareil d--ner, les fen--tres ouvertes sur le ciel bleu du printemps ou de l'automne.
Et quand vous prenez le grand couteau --manche de corne pour découper des tranches de gigot fondantes, ou la truelle d'argent pour diviser tout du long avec délicatesse un magnifique brochet --la gelée, la gueule pleine de persil, avec quel air de recueillement les autres vous regardent !
Puis quand vous saisissez derri--re votre chaise, dans la cuvette, une autre bouteille, et que vous la placez entre vos genoux pour en tirer le bouchon sans secousse, comme ils rient en pensant : -- Qu'est-ce qui va venir --cette heure ?--
Ah ! je vous le dis, c'est un grand plaisir de traiter ses vieux amis, et de penser : -- Cela recommencera de la sorte d'année en année, jusqu'--ce que le Seigneur Dieu nous fasse signe de venir, et que nous dormions en paix dans le sein d'Abrabam.--


Émile Erckmann (1822-1899)
Alexandre Chatrian (1826-1899)



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